Sciences humaines - What else ?
Mais.
Ce n'est pas le sujet.
Le sujet, c'est les sciences humaines. J'ai réalisé hier en relisant Un si fragile vernis d'humanité pour mes cours à venir que la place on ne peu plus instable de la philosophie et des sciences sociales dans notre société actuelle était peut-être la conséquence logique du dogme cynique qui guide les réflexions depuis le 17ème siècle - et plus activement depuis le 19ème. En gros et pour schématiser : ce dogme considère - à travers les réflexions de maints philosophes et moralistes, dont l'un des plus célèbres est Hobbes - que l'homme est par nature, égoïste, et n'a d'autre but que satisfaire ses besoins, ses envies et n'a jamais une pensée altruiste - à moins d'être un saint... ou une véritable bonne volonté (cf. Kant). Théorie que l'on a appliqué à tout - sociologize, psychologie... Et économie. Vous voyez où je veux en venir, non ? A force d'être cyniques, matérialistes, pragmatiques, "réalistes" (il faut être réaliste, la philo, ça ne SERT à rien ; il faut être réaliste, la psycho, ça ne RAPPORTE rien ; il faut être réaliste, la socio, ça n'a aucun INTERÊT), les sciences sociales ont fini par permettre au pire d'arriver : à quoi bon conserver un département de sciences humaines ? (inutile). A quoi bon faire de longues études ? (perte dd'argent). A quoi bon réfléchir (temps de cerveau rendu indisponible pour Coca-cola).
Bref, quand la directrice du département SHS (sciences humaines et sociales) au CNRS est écartée - on annonce, à deux jours du vote du budget 2009 qu'elle part en retraite... Ses collègues ont démissionné en masse.
Et je ne suis pas sûre, hélas, que cela choque les foules, plus habituées à se plaindre (à juste titre d'ailleurs) de l'augmentation du coût de la vie qu'à s'interroger sur les conséquences à long terme de ce massacre en règle des sciences de l'homme.
Extrait d'un communiqué du CNRS :
[...]l’attitude de la direction du CNRS et celle de son ministère de tutelle suscitent de nouveau l’indignation et les plus grandes inquiétudes dans la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, dans ses pages d’offre d’emploi des 20 et 26 août 2008, le quotidien Le Monde nous informe, au détour d’une offre de recrutement d’un Directeur scientifique des SHS pour le CNRS, que ce futur directeur sera chargé de mettre en place un Institut des SHS dont l’organisation interne en « domaines structurants » est très explicitement définie, selon la tripartition « Culture et sociétés dans l’histoire », « Homme, société et environnement » et, enfin, « Comportement et cognition ». Cette organisation, déjà évoquée de façon unilatérale en juin dernier et alors fort mal reçue par la communauté des chercheurs, devait être un des objets de la négociation prévue à la rentrée. Voilà qu’elle nous est imposée. Quelques jours plus tard, la directrice scientifique des SHS est alors brutalement limogée, sous un prétexte de limite d’âge dont on peine à croire que la hiérarchie du CNRS en ait eu connaissance à la fin du mois d’août 2008 – suivant là une règle qui d’ailleurs n’est étrangement pas appliquée à d’autres personnes de la direction pourtant plus âgées… Ces faits manifestent le peu de considération, voire le mépris, dans lequel sont tenus l’ensemble des chercheurs, personnels techniques et de recherche, et enseignants-chercheurs par la direction du CNRS et son ministère de tutelle.
Il n'y a d'ailleurs pas que les SHS qui sont touchées - il y a aussi les départements de littérature dans les universités. Lire ? Aucune utilité dans le quotidien (en accord avec les dérives du président sur La princesse de Clèves).
Extrait d'un article du Monde - Sauvons l'université (Jean-Louis Fournel, Bertrand Monthubert et Frédéric Sawicki)
Des centaines de médaillés du CNRS ont signé un texte exprimant leur profonde inquiétude, une "marche de tous les savoirs" a rassemblé près de 10 000 personnes. Le 19 juin, de nombreux personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur ont organisé des actions dans les grandes villes pour réclamer une autre politique et obtenir l’annulation du démantèlement en cours du CNRS.
Cette ultime réforme menace de faire disparaître des pans entiers de la recherche française et d’en soumettre de nombreux autres à des impératifs de court terme ; en particulier les sciences de la vie et l’informatique seraient contrôlées en dehors du CNRS. Jamais un gouvernement n’avait chercher à exercer une telle autorité sur la recherche. A cet égard, les sciences de l’homme et de la société (SHS) apparaissent particulièrement en péril et illustrent les dérives de la politique actuelle. Vues comme inutiles économiquement et comme trop critiques, la tentation est grande de les exclure du CNRS.
[...]
En donnant la priorité à l’accumulation des connaissances de long terme, en s’efforçant de préserver ou de développer des pans entiers de recherche ignorés ou délaissés par l’université (archéologie, anthropologie, études des aires culturelles non européennes...), en insufflant une culture d’évaluation et de recherche en équipe au sein de disciplines longtemps individualistes, le CNRS a donc contribué au développement des SHS dans notre pays. Une part non négligeable des meilleurs chercheurs français dans ce domaine, y compris universitaires, ont travaillé ou travaillent au sein de laboratoires soutenus par le CNRS.
[...]
Les nouvelles orientations données à la politique de recherche, tant au niveau européen que français, la réforme de l’université et les préjugés idéologiques du gouvernement à l’égard des sciences de l’homme mettent cette politique en péril. L’étranglement financier du CNRS au profit de l’Agence nationale de la recherche favorise ceux qui défendent cette politique à courte vue.
Ainsi que le notent les rédacteurs de cet article, le gouvernement a peu d'estime pour les sciences de l'homme. Rappelons-nous l'entretien magistral de Michel Onfray avec Sarkozy avant son élection (j'en avais fait état ici).
Et, ce n'est un secret pour personne - du moins, je ne pense pas,... si ? - quand un gouvernement , une religieon, veulent affaiblir le peuple, l'asservir, ils commencent par lui ôter ses outils de réflexion.
Même si, comme dans le cas des sciences humaines, elles ont partiellement en tous cas donné le bâton pour se faire battre.
Moralité ? Vive l'humanisme et les sentiments...