Nothing... Être ou ne pas être une miette de pain

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En lisant les titres des journaux et en jetant un coup d'oeil à Mediapart ce matin, j'ai failli changer du tout au tout mon intention "bloguesque du jour". Et puis je me suis dit qu'il y avait des gens qui s'exprimaient bien mieux que moi sur le sujet.... Comme par exemple Edwy Plenel, président de Médiapart, dans cet article "parti-pris" dont je vous cite un extrait.
Qui arrêtera cette présidence ? A cette question, posée avec entêtement par Mediapart tant ce pouvoir nous semble un cocktail explosif de régression et de prétention, d'archaïsme et d'absolutisme, d'aveuglement et d'affolement, la semaine écoulée apporte une curieuse réponse. La perdition de ce président, ce sera peut-être lui-même, tout simplement. Et la faille de cette présidence, sa propre démesure. A force d'ignorer les limites qui font un pouvoir contenu, équilibré et partagé, la République de Nicolas Sarkozy avance toujours au risque d'elle-même, de ses humeurs et de ses foucades, de ses obsessions et de ses excès. Faute de contrepoint, de bornes ou d'entraves, sa liberté est un laisser-aller où s'égarent l'esprit de responsabilité et la conscience de la fonction. Plus il se renforce, s'aggrave et s'exacerbe, plus ce présidentialisme-là s'isole et s'enferme, perdant le sens des mesures et des réalités, des visions hautes et des paroles élevées. Comment analyser autrement l'énervement de son entourage depuis que Ségolène Royal s'en est allée porter le fer de la contradiction, du démenti et du pardon à Dakar ? Et quel autre enseignement tirer de la panique qui saisit séides et courtisans depuis que Libération a montré ce président tel qu'en lui-même, lors d'un déjeuner avec un groupe de parlementaires ? Un président vantard et orgueilleux, aussi superficiel dans ses analyses qu'il fut péremptoire dans ses jugements envers ses collègues étrangers, de Barack Obama à Angela Merkel en passant par José Luis Zapatero. Tout comme il avait été inconscient et léger lors de ce calamiteux discours de 2007 dans la capitale sénégalaise, à la fois condescendant et paternaliste, empreint de cette bonne conscience qui fait les esprits supérieurs et suffisants. Notre vie publique est si dominée par cette hyperprésidence que cette double histoire – le discours de Royal, les confidences de Sarkozy – devient l'affaire politique du moment. Ségolène Royal a saisi l'occasion du déjeuner et de ses bavardages pour poursuivre son offensive dakaroise, contestant à Nicolas Sarkozy le droit d'exprimer ainsi la France, toute la France, par l'adresse d'excuses personnelles au premier ministre espagnol. Entre-temps, l'Elysée avait reçu l'opportun soutien d'une signature de la presse classée à gauche, le fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, qui, dans une tribune confiée au Monde, décerne au chef de l'Etat un inattendu brevet d'anticolonialisme. Enfin, l'UMP, après avoir accusé Royal de « déshonorer notre pays » (Yves Jégo), s'en prend à la presse qui « abîme l'image de notre pays » (Frédéric Lefebvre), reprochant à Libération d'être devenu un vulgaire « tract » d'opposition. Entre forme et fond, liant indissolublement l'une à l'autre, cet épisode est un révélateur, à la manière d'un fait divers de la vie publique : anecdotique en partie, il n'en éclaire pas moins l'essentiel. Trois questions sont ici imbriquées : la représentation de la France, la compréhension du monde, l'expression de l'opposition. L'intégralité de l'article est disponible ici.

J'aimerais revenir sur les dernières lignes de ce superbe article.

S'opposer, c'est bien sûr proposer, mais c'est d'abord cela : ne pas composer, ne pas admettre, ne pas céder. Aucune alternative crédible ne se construira sur l'arrangement avec ce pouvoir tel qu'il s'affirme et s'exprime, sur des compromis douteux ou des rapprochements incestueux. Tous ceux qui, à l'inverse, jugent cette posture excessive, ridicule ou néfaste, sont les mêmes qui pensent que la présidence de Nicolas Sarkozy n'est qu'un épisode éphémère, sans gravité ni conséquence durable, de notre vie politique. Nos lecteurs savent que telle n'est pas notre analyse, tant la régression nous semble avérée, documentée par nos enquêtes et prouvée par nos révélations.


Cela fait le lien avec le blog du jour. La semaine dernière, des élèves - première année de BTS com visuelle - ont fait un exposé sur la soumission à l'autorité. Ce thème est directement en rapport avec le texte que nous étudions cette année - Un si fragile vernis d'humanité, du philosophe Michel Terestchenko dont j'ai déjà maintes fois parlé ici. Au début de l'année, quand j'évoquais la passivité des hommes devant l'injustice - le fait qu'une personne puisse se faire agresser sans que les gens ne réagissent, et, par extension, le fait que des gens aient pu laisser faire le nazisme, voire y participer non par conviction, mais par ce que Terestchenko nomme "absence à soi" choquait. Le "moi, j'aurais pas laissé faire" prédominait.
A ce propos - et ce n'est pas pour faire encore de la pub pour Terestchenko (Du Bon usage de la torture...)  - les mémos secrets de la CIA sur la torture - pardon! les méthodes d'interrogatoires coercitives - ont étérendus publics et les dirigeants de la CIA de dire -
(chipé à un article Médiapart de C. Holleville) : Leon E. Panetta, rappelle que «le programme de détention et d'interrogatoires de la CIA était autorisé et approuvé par notre gouvernement». Et d'en appeler à la compréhension du «contexte dans lequel ces opérations se sont déroulées. Dans le sillage du 11 Septembre, le président s'est tourné vers la CIA [...] et a fait confiance à nos agents pour la plus critique des tâches : démanteler le réseau terroriste qui frappait notre pays et prévenir les attaques ultérieures. La CIA a répondu, comme son devoir l'exigeait».
Bref... Après plusieurs mois d'analyses et de réflexions sur les conduites de destructivité humaine, et surtout - en tout cas c'était le but - le questionnement de l'humain, on en arrive donc à cette question de "se soumettre ou non". Là, les élèves expliquent que l'homme a un besoin d'appartenance au groupe, que la différence fait peur - et être différent des autres fait peur. Que, finalement, même si on n'est pas d'accord, bouger ne sert à rien. l'exemple : les rafles dans les écoles, et le fait - selon eux - que seuls les instits bougent. J'ai quand même exliqué ce qu'était RESF et ses actions, mais voici en substance qui m'a été répondu : il faudrait tout foutre en l'air pour reconstruire un systèmle nouveau. Là, bouger ça ne sert à rien, en plus c'est lutter contre le gouvernement avec ses propres armes (les procès et les expulsions), donc c'est perdre, donc autant ne rien faire "puisque ça ne servira à rien".
Tout ça assorti de "personne n'est prêt à abandonner son petit confort pour faire bouger les choses".
GLUPS.
Là, je me suis dit : merde, tu démissionnes avant de leur avoir fait étudier la deuxième partie du bouquin de Terestchenko qui s'oppose à l'altruisme-sacrifice de soi et met plutôt en lumière une conduite de bienveillance, qui n'est pas forcément désintéressée (à la manière de... Kant), mais en tous cas humaine.
Parenthèse : Oui, je finis mes cours fin avril. Je démissionne pour tout un tas de raisons ; certains pourront certainement me reprocher d'être pareil que les élèves puisque je "baisse les bras", à quoi je répondrai, "c'est pas faux - et alors ?" .
Revenons-en à nos moutons. 
En gros, seules des conduites totalement altruistes, altruistes à la manière de Lévinas dans son rapport à l'autre (je suis responsable d'autrui et le reconnais en tant qu'homme/ semblable même si lui me dénie le droit à l'humain, dussé-je y laisser mon être) ou/ et totalement révolutionnaires (et encore) sont légitimes face aux injustices perpétuées par les autorités en place. Tout autre action est illégitime. Quelque part, cela veut dire que toutes les personnes qui ont agi, même de manière minime - je pense au père de ma Ninou, qui était facteur et ,pendant la guerre, piquait et détruisait les lettres de dénonciation, à Ninou qui passait des tracts - l'ont fait pour rien ?... Je crois au contraire que sans eux, il y aurait eu beaucoup, beaucoup plus de morts.
Bref - le constat "nothing" est assez flippant (pas envie d'écrire un mot plus soutenu). D'un point de vue humain, ça me fout les boules (idem). D'un point de vue philosophique, ça veut dire que les dégats de l'utilitarisme et de l'altruisme sacrificiel sont décidément très étendus. D'un point de vue plus personnel, bizarrement, cela me rassure et me conforte dans ce que je fais - être une miette de pain qui dit et fait à modeste échelle, ça me va très bien et je l'assume.



Publié dans charlottebousquet

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F
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton article et j'ai ressenti à la fin la même colère mêlée d'amertume et de dépit qui m'envahit quand j'essaie de mobiliser mes proches et mes collègues sur certaines causes... Le plus souvent que j'ai vu un documentaire comme Le seigneur de la mer, Let's make money ou Nous resterons sur Terre (les deux derniers sont encore à l'affiche pour info...), j'en discute le lendemain et j'ai souvent de la part de certaines personnes des réactions plus que molles ou bien (et cela m'agace encore plus) des "oh la la c'est horrible je ne préfère pas voir ce genre de docu après ca me déprime"... C'est sûr qu'il vaut mieux se voiler la face et attendre que la situation soit complètement fichue...là au moins ils pourront vraiment être déprimés !Enfin bref, ca me sidère de voir que chacun (état, collectivités, citoyens lambda) se rejette la responsabilité...Heureusement qu'il y a des miettes et des groupes de miettes qui sont là pour garder la flamme allumée et essayer d'embraser tout le monde !Amicalement.
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F
Cela me fait penser au whistleblower dans le livre sr la trahison de Sébastien Scherh. Des gens qui dénoncent leur paires mais parcequ'ils sont tous corrompus par exemple; comme ce flic de NYC qui avait dénoncé la corruption de la police et qui a fini "crucifié" par ses paires plutôt que justice soit rendu. Il était dans son bon droit. Quelques années plus tard on se rend compte que la police new yorkaise a fait le ménage de corruption.Si on reprend ton exemple sur les délation au nazis pendant la guerre, dans le même livre on se rend compte que le traitre, le fait simplement car il se justifie dans un "bon droit de bon citoyen". Si toutes ces petites gouttes d'eau de délation n'avaient pas existées il y aurait eu aussi moins de mort. Mais cumulé ca fait un bon paquet de cadavre. La différence avec les gens anonyme agissant contre les nazis c'est que'officiellement ils n'étaient pas dans leur bon droit, il n'étaient pas légitime dans cette société; Je pense que les goutte d'eau sont des deux coté, c'est pourquoi par exemple le racisme grandi de jour en jour et devient aux yeux de tous une banalité. Mais quand on dénonce cela on devinet "ultra gauchiste", opposant et tous les termes qui vont bien pour identifier la personne qui n'est pas d'accord avec un pouvoir proche du totalitaire...
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